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Barre-toi
23 août 2010

A la Barre-Thomas la pilule ne passe pas

A la Barre-Thomas la pilule ne passe pas

Article rédigé en mars 2010 et publié dans le hors série de juin 2010 du Mensuel de Rennes

Accords sur le stress, aménagements de postes supervisés par une ergonome : la société rennaise de sous-traitance automobile donne le sentiment de prendre soin de ses salariés. Insuffisant pour faire oublier les trois plans sociaux survenus entre 2006 et 2009 et les méthodes de licenciement scandaleuses qui les ont accompagnées.

Avec leur paye du mois de février, les 1023 salariés de la société des polymères Barre Thomas ont reçu un questionnaire anonyme d’une dizaine de pages. Composé de 99 questions, ce document vise à évaluer le niveau de stress et les facteurs professionnels qui l’engendrent. Les salariés ont eu trois semaines pour y répondre et le retourner au médecin du travail, chargé de les analyser. Malgré les incitations de la direction, à peine un questionnaire sur deux a été rempli. « Les gens ont peur d’être identifiés et d’avoir des ennuis », explique une salariée qui a préféré garder l’anonymat, précisément pour éviter les problèmes.

Cette enquête était pourtant la mesure phare des accords internes sur les risques psychosociaux, conclus début février. C’est même « l’élément qui a poussé les délégués syndicaux à signer l’accord », selon Jean-Michel Guérin. Ce délégué du syndicat Force Ouvrière, majoritaire à la Barre Thomas et réputé proche de la direction, espère que ce questionnaire conduira à « la mise en place d’actions concrètes », sans trop y croire. Henri-Pierre Viala, également délégué FO, remet quant à lui en cause la sincérité de ces accords : « la bête, quand on a envie de l’abattre, on la caresse dans le sens du poil ». Des mots violents, qui traduisent une perte de confiance dans l’entreprise et la crainte aiguë de nouveaux plans sociaux. Des mots qui ne cadrent pas avec le classement de la Barre Thomas sur la liste verte du gouvernement concernant la prévention des risques psychosociaux.

De meilleures conditions de travail pour une meilleure productivité

L’intérêt de la Barre Thomas pour les conditions de travail n’est pas né avec ce classement. En témoigne l’embauche fin 2004 d’une ergonome, Marie-Haude Guerry, chargée d’adapter les machines pour un meilleur confort des ouvriers. « Personnellement mon but est que les personnes se fassent le moins mal possible, mais mes arguments auprès de la direction portent essentiellement sur les coûts », avoue-t-elle. Un ouvrier à l’aise sur sa machine est en effet un ouvrier plus productif, donc plus rentable. L’ergonomie est un outil essentiel pour permettre une intensification des cadences et pour répondre au vieillissement de la masse salariale. « Grâce à de petits aménagements peu coûteux, on peut maintenir dans l’emploi les seniors et les handicapés », plaide l’ergonome. Avec 6,4 % de travailleurs reconnus à la Cotorep, la Barre Thomas  se situe aujourd’hui au-dessus du seuil légal obligatoire d’emploi des handicapés, même si le plan social de 2007 n’a pas épargné les plus faibles. « Ici, il n’y a pas de place pour les gens malades », a lancé le gestionnaire du personnel à Chantal, salariée de 51 ans reconnue Cotorep pour maladie professionnelle, au moment de son licenciement en octobre 2007.

Les méthodes expéditives employées lors de ce plan social, jugées « scandaleuses » par le ministre du travail de l’époque Xavier Bertrand, constituent une blessure qui ne cicatrise pas. Jean-Michel Guérin constate un « désamour de l’entreprise » depuis cet épisode. Désormais, « les gens viennent uniquement pour leur paye ». Une vision qui ne colle pas à l’image familiale que Damien Baudry, directeur des ressources humaines, tente de véhiculer de sa société. Mettant en avant la taille « humaine » de l’entreprise, il assure que le dialogue social y est très présent. Ces propos hérissent les anciens salariés de la Barre Thomas, auteurs du livre Barre Toi [voir encadré], qui dénoncent les méthodes de management utilisées dans l’entreprise. « Les encadrants sont formés à des techniques de management très brutales, à l’américaine. Ils jouent sur la peur et déshumanisent les rapports sociaux », soutient François Macquaire, juriste à la CFTC.

Une atmosphère tendue, entre peur et résignation

La peur est en effet omniprésente à la Barre Thomas, tout comme la langue de bois. « La règle est de discuter de tout ce qui est insignifiant, qui ne gène personne. Par contre, il ne faut jamais rien critiquer : les murs de la Barre Thomas ont des oreilles », avoue un salarié sous couvert d’anonymat. Si en dehors de l’usine la parole se libère, à l’intérieur, en revanche, c’est l’omerta. Brigitte Bertrand, 14 ans d’ancienneté, met même en avant la bonne ambiance qui règne dans l’entreprise et se dit confiante dans la volonté de la direction de maintenir l’emploi. Des rumeurs de fusion avec Cooper Standard, équipementier automobile basé à Vitré, circulent pourtant depuis plusieurs mois. « Qui dit fusion dit doublons, qui dit doublons dit sureffectifs », redoute Thierry Kolodziejek, délégué CFTC. Et qui dit sureffectifs dit licenciements… Les délégués de Force Ouvrière reconnaissent eux aussi que le climat actuel de l’entreprise est lourd et pesant. « Les salariés attendent le coup de pelle sur la tête. Ils seraient prêts à travailler deux fois plus s’ils étaient sûrs de garder leur travail », affirme Henri-Pierre Viala. Pour lui, aucun doute : la principale cause de souffrance à la Barre Thomas, c’est la peur du lendemain.

Mesures d’urgence pour lutter contre le stress

Les entreprises françaises de plus de 1000 salariés ont été invitées début octobre 2009 par le Ministère du travail à négocier des accords sur la prévention des risques psychosociaux. Passée la date butoir du 1er février, une liste des bons et des mauvais élèves a été publiée sur le site du Ministère (www.travailler-mieux.gouv.fr). Consultables pendant 24 heures, les listes orange et rouge (moyens et mauvais élèves) sont désormais bloquées.

Barre Toi

« C’est dur un licenciement, c’est une étape qu’il faut digérer ou vomir », écrit Jean-Luc. Mis à la porte de la Barre Thomas sans ménagement, il a décidé avec trois camarades de son syndicat, la CFTC, de recueillir les témoignages de leurs compagnons d’infortune, victimes du plan social 2007. Ils en ont fait un livre, pour digérer mais aussi pour dénoncer.

Licenciés en quelques minutes sous les yeux de leurs collègues et sommés de quitter l’usine sur le champ, ils racontent leur honte et leur colère. Impossibilité de dire au revoir aux collègues, lignes internet et téléphoniques coupées : tout à été fait pour isoler les salariés licenciés et empêcher toute mobilisation. Au-delà des méthodes de licenciement ils révèlent un quotidien fait de pressions, de menaces et de mensonges.

Préfacé par l’ancien maire socialiste de Rennes, Edmond Hervé, ce livre prend des allures de revanche. Les 309 salariés – trop vieux, trop malades ou trop revendicatifs – congédiés par la Barre-Thomas avaient déjà obtenus en justice l’annulation du plan social, le 24 septembre 2009. Avec ce livre, ils achèvent de recouvrer leur dignité.

BT ! Barre Toi !, publié aux Editions Apogées, est en vente en librairies.

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Commentaires
P
Que ne faut-il pas lire ,"Ils seraient prêts à travailler deux fois plus s’ils étaient sûrs de garder leur travail"le coup de pelle sur la tête il l'a déja pris celui là pour sortir de telles inepties, 70h sur une presse je voudrai bien l'y voir. Encore un qui doit travailler dans des bureaux avec la clim!
Barre-toi
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