Technologie et gratuité, le paradoxe du consommateur 2.0
Ah ! Comme ils fanfaronnent les geek ! Ils ont trouvé, ou plutôt ils pensent avoir trouvé la faille juridique qui permettrait la diffusion gratuite du dernier roman de Houellebecq sur le web. Encore un coup de poing dans la gueule de ce vieux monde qui n’en finit pas de mourir. On ne prête qu’aux riches, dit-on. Sur Internet, on ne vole que les riches… croit-on.
A
bas les éditeurs qui s’engraissent sur le talent des créateurs
d’oeuvres originales, mais aussi et surtout sur le dos des braves
citoyens-consommateurs, vive la gratuité démocratique du web ! On veut
tout gratuit. L’information, le divertissement, les photos, les livres
savants, mais aussi les romans, la bande dessinée, la musique, les
films, tout vous-dis-je ! Du gratuit comme s’il en pleuvait. A bas les
vieilles lois protégeant les droits des créateurs et leur permettant de
vivre de leur travail, à bas toutes ces tyrannies d’un autre âge qui
furent pourtant, en leur temps, de formidables avancées. Liberté,
égalité, gratuité !
Car la démocratie voyez-vous, c’est la
gratuité. Faire payer, fut-ce très modestement, l’accès à la culture,
c’est réac’, anti-démocratique, c’est aussi le signe d’un vieux monde
capitaliste qui refuse encore de s’effacer devant la démocratie
technologique triomphante. Et comme on peine à financer les contenus
sur Internet, il faudra bien s’attendre à ce que la mort des éditeurs
et des majors soit suivie de celle des écrivains, des photographes, des
artistes en tous genres, bref, de tous ceux qui vivaient plus ou moins
bien de leur travail ou de leur art. Et des journalistes,
aussi. Qu’importe, Julian Assange est devenu le grand journaliste mondial, ça suffira bien.
Et
avec l’argent ainsi économisé, vous savez ce que fera le peuple enfin
installé dans une vraie démocratie ? Non ? Je vais vous le dire, ce
qu’il fait déjà sous l’impulsion du marketing agressif des nouveaux
tyrans capitalistes qu’il érige sur les ruines de ceux qu’il a abattus.
Il se ruinera en ordinateurs toujours plus performants, tablettes
révolutionnaires, téléphone aptes à toutes les fonctions excepté tondre
la pelouse (pour l’instant) et accessoires pour tous ces joujoux car il
faut bien les transporter, les équiper, les customizer, les soigner,
les enrichir, les faire réparer, les développer, les remplacer, les
collectionner et, tenez, puisque c’est bientôt Noël, les offrir. Sans
compter les fournisseurs d’accès qui, moyennant une somme plus ou moins
modique par mois mais qui en fin d’année pèse son poids sur un budget,
vous permettent d’accéder à Internet, au téléphone, à la télévision
etc. Et les grands acteurs de la téléphonie mobile, qui, moyennant eux
aussi un abonnement mensuellement presque indolore permettent de
téléphoner, d’accéder à Internet etc. Gratuit le web ? Laissez-moi
rire….On ne rémunère plus la création intellectuelle, mais l’innovation
technologique. C’est un choix. Mais qu’on ne vienne pas me parler de
révolution démocratique là où il n’y a qu’un changement de mode de
consommation.
Qu’est-ce qu’ils doivent rigoler tous les fabricants de gadgets
technologiques en observant leurs clients revendiquer comme une liberté
fondamentale le droit d’accéder à tous les produits culturels
gratuitement. Pendant ce temps, ils calculent le prix du prochain
produit incontournable qu’ils lanceront à grands coups de marketing
viral sur la toile. Ah! Ils doivent se fendre la poire. J’en viens même
à me demander s’ils ne sont pas à l’origine de ce grand mouvement
libertaire, car le budget des consommateurs n’est pas extensible,
n’est-ce pas ? Il faut donc choisir entre payer du contenu et financer
en trois fois sans frais le dernier objet à la mode…
Parvenir
à peindre un caprice de consommateur inspiré par des géants industriels
qui s’emploient chaque jour à créer de nouveaux besoins pour les
satisfaire ensuite de la manière la plus ludique et surtout la plus
couteuse qui soit, sous les nobles traits d’une révolution démocratique
pour l’avènement d’un nouveau monde libre et d’accès gratuit, il
fallait le faire. Chapeau !
S’il fallait adapter à notre époque le fameux tableau de Delacroix, La liberté guidant le peuple, je gage que la liberté aurait les traits de Bill Gates et que le drapeau serait frappé du logo de Microsoft.
Le
plus piquant, dans cette affaire, c’est qu’elle arrive à Houellebecq,
c’est-à-dire à l’auteur qui exprime mieux que quiconque à l’heure
actuelle le vide sidéral d’une société qui n’aspire à plus rien
d’autre qu’à consommer.
Lui aussi, il doit bien rigoler….
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