Cantona - Lagarde, un mauvais match
Mine de rien, Eric Cantona a lancé un pavé dans la mare et la réplique
de la ministre Christine Lagarde n'a fait qu'aviver la controverse (nouvelobs.com, Marianne 2, jdd.fr).
L'ancien
footballeur génial, au caractère difficile mais à la conduite de balle
déroutante, l'idole de Manchester United, est devenu acteur. Sa lutte
en faveur des SDF est connue et à l'évidence rien, chez lui, ne relève
de la démagogie. Cela sort de ses tripes et de son coeur. Maintenant, « pour que le système s'écroule »,
il invite les particuliers à retirer leurs liquidités des banques. Sa
proposition a été prise au sérieux par Olivier Besancenot qui l'a jugée
tout de même limitée et trop peu politique. Elle fleure le spontanéisme
et rien ne déplaît plus à la véritable révolution que le désordre.
Christine
Lagarde, qui estime que l'économie et la finance constituent une chasse
gardée, lui a répondu que chacun devait exercer son métier et s'en
tenir à ses compétences. Lui au foot et elle à la gestion de son
ministère en charge de l'essentiel en cette période de crise qui n'en
finit pas au point de faire douter de la guérison promise. Ne sachant
pas jouer au foot, elle demandait en retour à Eric Cantona de ne pas se
mêler de ce qui ne le regardait pas.
Je ne m'arrête pas au brin
de condescendance que les responsables de l'Etat manifestent
régulièrement à l'égard de ceux - le commun - qui viennent penser,
décréter sur leurs plates-bandes. Cette attitude est trop fréquente
pour qu'on lui fasse un sort particulier.
Que le « coup de
gueule » d'Eric Cantona ne constitue pas une solution classique ni même
une idée à exploiter, j'en conviens volontiers. Les
spécialistes ont plus ri de la foucade qu'apprécié celle-ci. Prétendre
détruire le système est une absurdité quand, au contraire, il s'agit de
le réformer, comme l'a dit BHL au Grand Journal de Michel Denisot,
émission qui continue à incarner un mélange de mondanité, d'ironie
facile et d'élitisme qui laisse pantois quand on songe au peuple qui
souffre. Eric Cantona a joué à fond la carte de son irresponsabilité
qui permet de dire n'importe quoi pourvu que ce soit provocant et
radical.
Il n'empêche que Christine Lagarde, en le renvoyant sur son terrain de foot, a commis une erreur.
Elle aurait dû ne pas lui répondre ou alors autrement. Dans un monde
idéal, « chacun son métier » serait un précepte indiscutable mais dans
le nôtre où les compétences les plus affirmées se brisent sur les
réalités les plus sombres, où la technique de ceux qui savent
s'effondre sous l'assaut quotidien des comportements erratiques, où la
morale est étouffée par l'intérêt, qui peut, sans être immédiatement
démenti, oser formuler une telle interdiction ?
La
modestie de l'action politique, ses limites et ses défaillances doivent
emporter comme une nécessaire conséquence l'acceptation non pas
résignée mais lucide des interventions démocratiques. Qui
aurait le front d'ordonner de demeurer dans sa sphère quand la sphère
voisine va à vau-l'eau et que les solidarités de la pensée et des
projets méritent d'être plus fortes que les appartenances fermées sur
elles-mêmes et fières de leur autarcie ?
Eric Cantona a
proféré des bêtises. Non seulement il avait le droit de les dire mais
la ministre aurait dû le remercier. On ne sait jamais.
L'impuissance ou au moins la réussite, quand elle est toute relative,
ne peuvent plus faire fi du citoyen. Le prendre pour un intrus, c'est
se tromper. Il a toute légitimité pour aller partout et s'égarer sur
tout. Il n'est plus personne qui puisse lui déclarer « stop, à chacun son métier » !
Christine Lagarde devrait apprendre à jouer au foot.
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